CE QU’IL Y A DERRIÈRE LES MONTAGNES D’ANNE-LAURE GARICOIX

                                                                                                                                                                                                                                                                  Par Maxime Morel – 2019

Les paysages où l’encre brûle
où la silhouette enfile la couleur
nous y sommes
et de l’arrière, on ne distingue qu’une clameur sourde
et des bruits réguliers de pas

ce qu’il y a derrière les montagnes

Parfois en ouvrant tu te rends compte que dedans
dedans c’est joli dedans c’est de l’or dedans c’est des cercles rouges
dedans ça ne sent pas
ni le gazole ni les engrais

dedans on peut y mettre une cascade
ou la forme d’un glacier

et les jambes, seules, qui bougent encore
ne bougent que parce que dans le dedans du dedans il y a des milliers de petites larves
et ces larves ce sont des graines
mais ne t’inquiète pas
ce sont des larves douces

ce qu’il y a derrière les montagnes

Il suffit de secouer la tête elles s’en vont
ainsi les mauvais rêves
en prenant un petit chiffon
ou un balai plus efficace
on les ramasse on les remet

ce qu’il y a derrière les montagnes
on apprend que parfois la neige blanchit

de l’autre côté
encore le jour
les nuages absorbent le soleil
ou bien l’aile de l’avion qui est encore soleil
lorsqu’en bas on marche déjà dans l’obscurité
ça le fait aussi sur les ailes de certains oiseaux
souvenir du soleil, encore là et parti

mais ici devant la muraille noire
des femmes ont fait un cercle de branches il y a beaucoup de bois
puis elles entrent puis leurs os du bois
chairs et chevelures feu
sans cri
dans le feu

un temps
on se rattrape ou on est attrapé par le pied de l’œil
alors sur la lande sur la bruyère sur l’herbe on s’enfonce comme une éponge sur le sable sur le granite
sur les traits qui séparent les couleurs de la mer
passent un promeneur rapide
des joggeurs et des cyclistes
avec leurs costumes de couleurs vives leurs écouteurs leur respiration et tout leur attirail
ils laissent un peu de ces couleurs dans les paysages qu’ils traversent

ici un sachet de dragibus
on l’a offert à deux adolescents qui ont été forcé de fuir
très vite
quant une odeur de bouc s’est rapprochée de leur campement
ou quand de plongée dans le lac la plongée s’est faite dans la chair

Une éclaircie, et toutes les étoiles.
les feuilles des arbres absorbent
la faible lumière de cette source supplémentaire
tout au long de la nuit

puis parfois la matière
je veux dire celle de la peinture, celle de l’encre – avec ses arrivées de fleuves et le sable qu’elle charrie
avec les estuaires disparus et ceux creusés il y a 400 ans
alors le jaune glissant sous le rouge devient jaune plus clair
et là ce n’est plus un lieu c’est la peinture c’est l’encre
comment les jaunes coulent chauffent brillent
puis dégoulinent lentement avec leur consistance de sucre fondu

quand ça dévore
quand ça cogne
quand ça glisse
quand ça prend de l’ombre en passant dessous

de là, rien ne peut nous atteindre
et de ce côté, les flammes tombent du ciel
à moins que le paysage soit à l’envers

de sa tête pousse un bourgeon – un rameau de branche
fragile menaçant
au départ il est beau comme du poison
comme l’eau fluorescente
et un oiseau traverse la montagne
sûrement des graines de montagnes ont rendu son corps impropre au vol
et il est devenu un terreau fertile pour que pousse la montagne
l’oiseau traversé par la montagne

Là elle hésite la matière
elle hésite l’eau bleue
s’il faut aller se mêler au turquoise
s’il faut respecter les lignes tracées par le pastel
s’il faut s’éclaircir

s’il faut partir en voyage
sans passer par les portiques à matière
sans ouvrir son sac d’encre
sans oublier ses papiers

Tu ferais bien de te réveiller.

Le solstice est sur toi.

L’équinoxe fera se lever ton aube.

Toutes les tribus en robe seront alignées.

Alignées sur la danse des astres

[Les phrases en italiques sont des emprunts, dans l’ordre d’apparition : Jim Morrison, Ecrits, Christian Bourgois / Gary Snyder, L’arrière-Pays suivi de Amérique Ile Tortue, P.J. Oswald / Anne Waldman, Crépusculaire, Editions MaelstrÖm]

TEXTE LIBRE

2017 | ARMURE

 

Tout de noir vêtu et les pierres du ciel aux quatre coins, venant peu à peu s’accrocher comme des désirs en suspensions.
Le corps serti de contrastes affichant plein feu.
Apprivoisement des armures qui s’infiltrent.
Nous ferons avec maintenant.
Armures éternelles tatouant les corps de symboles appelant à la vie, comme des ondulations internes qui chaloupent avec les pulsations d’un cœur effréné.
Les armures ont cessé les cavales, elles s’enracinent et déploient leurs épées à sequins.
Flash avant et nos corps somnambules allant à l’essentiel.

Anne-Laure Garicoix

 

LES TRAVERSEES FAUVES, GALERIE JEAN-FRANCOIS KAISER, STRASBOURG

2016 | Exposition personnelle

Après avoir traversé le vide, la lumière se heurte parfois à une atmosphère pour entreprendre une traversée des milieux. Suivant  les particularités de la matière qu’elle croise elle poursuit son chemin homogène, ou se disperse, fragmentée. Elle s’éparpille alors, déviant de sa route initiale pour aller vers de prochaines rencontres. La pensée, on le sait depuis longtemps, est lumière. Elle se déplace à travers les connexions nerveuses, et peut-être profite-t-elle des mêmes voyages que poursuit la lumière du Soleil.

A travers le prisme des signes, Anne-Laure regarde « l’Atlas1 ». La nébulosité, l’incertain du mot, l’amène vers un autre sens, traversant une chaine montagneuse jusqu’au paysage de son épine dorsale. Sa pensée ricoche alors depuis la montagne vers le sommet de sa colonne, vertèbre proéminente. Et pour cause, le mot est facetté, irrégulier, reflétant simultanément différents récits de son histoire. Comme la lumière frappant l’angle du verre, la pensée se divise vers d’autres possibles, tissant un réseau autour de l’objet qu’elle observe.

La lumière n’existe que par ses interactions, elle est fille de rencontres 2. Afin d’apparaitre -se distinguer du sombre- elle est vouée à traverser, rencontrer, relier, ramifier. Les peintures d’Anne-Laure progressent par associations d’images et de récits, entrelacés entre les trames de couleurs et de matières. Grâce au geste, elle traverse les paysages, les corps, les cultures, dont elle prend soin de préserver l’énergie. Sa peinture semble protéger des mouvements réciproques, faire « partie d’un courant, d’une énergie, d’une matière qui se recycle.3»

La lumière fait tension dans l’espace-temps, elle lie le présent au passé. Mais lors de son voyage, elle subit une déformation. Celle des débuts s’est refroidie durant sa traversée, transformée pour devenir onde radio, un fossile. Imperceptible à l’œil, il s’agit pourtant d’une persistance lumineuse, peut-être même d’une « résistance 4 » de la lumière à sa disparition. Il y a des objets plus denses que certains, aux signes s’ajoute la profondeur d’une mémoire, prisme aux milles facettes. La peinture est peut-être ainsi mémoire, une lutte pour ce qui « demande à vivre .5 »

Les traversées de la lumière / Par Camille Lapouge

1- Anne-Laure Garicoix, Fièvre rouge, des tempes jusqu’à l’Atlas, 2016.
2- Trinh Xuan Thuan, Les voies de la Lumière, physique et métaphysique du clair-obscur, Collection Folio-essais, Editions Gallimard (2008).
3- Propos extraits de La nostalgie de la lumière, Patricio Guzman, 2010.
4- Anne-Laure Garicoix, La résistance des lumières, 2016.
5- Vincianne Despret, Isabelle Stengers, Les faiseuses d’histoires, Les empêcheurs de tourner en rond, La découverte, 2011.

INCANTATION, COOP GALERIE, BIDART

2014 | Exposition COLLECTIVE

Anne-Laure Garicoix est une tisseuse d’images. S’inspirant d’histoires glanées, d’images et de sons capturés, elle entrelace les référents sous la trame de la couleur. Des peintures des énergies, de fluides qui circulent et animent.
Autochtone des sols escarpés du Pays-Basque, elle tisse des paysages forts, évoquant déserts Islandais, tourbières charbonneuses ou steppes de l’Altaï mongol. A l’horizon, les montagnes se hissent vers la nuit. Les terres étoilées s’effacent pour laisser un passage, elles nous invitent à traverser, à passer au-delà. (La toundra s’éveille à minuit) L’image, comme fileuse de mirages, d’où jaillissent des poussières d’étoiles et de temps.
Empreintes d’animisme, ces peintures appellent une curieuse présence ; Des formes imprécises semblent à la fois incarner et invoquer l’esprit d’une terre omniprésente. (Les filaments de Kubera) Travail des métamorphoses, des silhouettes thérianthropes peuplent les plaines montagneuses. D’étranges créatures insaisissables surgissent, habitées par le paysage, elles se fondent dans l’espace-animal. « Djinns » et sorcières, gardiens de l’espace insulaire pictural, ils racontent.

Ils murmurent l’histoire de leur apparition. « Au centre du vide il y a une autre fête »*. Ces mots résonnent dans le calme des plaines. Apesanteur. Puis, instinctif, le geste dompte la couleur qui s’échappe. S’ensuit débordements, confettis et étincelles, les restes du vide qui un jour explosa. Des paillettes tintent ça et là, précieux débris des origines, créant des glissements vers des chimères, zones vibrantes et incertaines.

Pour INCANTATION « Les trois comètes déposent les songes » filent des liens vers l’Est. Entre éclats de poils et de terre, les figures hybrides d’Anne-Laure Garicoix rencontreront les costumes sauvages photographiés par Charles Fréger, du Pays Basque à la Bulgarie.

TEXTE LIBRE

2016 – LES TRAVERSÉES FAUVES

Traverser la peinture comme on traverse les paysages, le temps et les souvenirs.

Il y a de cela quand les couleurs des figures se dissolvent, dans les surfaces où se passent des projections fugitives.

La fuite vers les déplacements qui n’auront pas lieu, simplement l’échappatoire du silence et des cris, les deux à la fois; comme un fauve voulant atteindre le but ultime.

Se souvenir des belles choses, des beaux endroits, de ceux qui font vibrer les tempes, du désert à l’horizon, toujours, du turquoise dans le sommeil et des vagues qui n’ont jamais fait reculer.

Se jeter en pleine mer et faire une pause dans le cube de verre où la lumière reflète. Scintillement sur le rideau bleu. Rester là et contempler…

Puis repartir, fouler la terre jusqu’aux racines, en regardant droit dans le soleil sans jamais le quitter.

Nuit fauve.

L’ombre grandissante devient sorcière, anatomie amazonienne éclairée par le feu, et s’y perdre.

Assouf, assouf, assouf… Combien de temps déjà ? Toute une vie.

Reprendre son souffle, menton levé vers les comètes…Oeil de tigre sur les plaines qui pénètrent le corps , transfusion des sentiments pour avancer, sans oublier le pas de côté, celui dont la chute mène au royaume des songes et des vérités.

L’aube et sa fièvre rouge.

Résistance des images de toute une nuit et les sonorités sauvages se révélant peu à peu.

Voix pleine.

Anne-laure Garicoix

TEXTE LIBRE

2015 – LA TRAVERSÉE DE L’HIPPOCAMPE

Entre l’eau et le ciel les bleus se confondent. Seul le nom de ce lieu , Terre de feu, vient faire rougeoyer les sommets des montagnes au loin. Combien de barques ont traversé le bleu électrique, caressant les ombres des ancêtres disparus.

Sur le mouvement de l’eau ressurgissent les étincelles des corps teintés de blanc, les comètes sont en nous. En s’allongeant pour rejoindre le passage de Drake, elles se dispersent et nous regardent.

Petit à petit l’horizon du silence face à nous, les sons les plus distants résonnent encore…Se forme alors le dernier soupir, faisant apparaître les résistances de la langue. L’eau fait semblant de dormir, elle répète en mémoire les mots de celles et ceux dont la présence s’éternise. Le vent se lève, les glaciers se forment, la lune rouge électrise la scène, alors que s’évanouie peu à peu la complémentaire.

S’effacent les contours, les bruits et les couleurs, se couvre le paysage de l’habit du corbeau, puis s’éteint, dans la vibration de la lumière, luttant indéfiniment.

Anne-Laure Garicoix

TEXTE LIBRE

2013 – Exposition personnelle – Sous ma terre, des tourbillons vers les étoiles centrales- Galerie du Second Jeudi, Bayonne

À la tombée de la nuit, lorsqu’ils frôlent le sol, la terre se soulève.

Elle rejette le souffle de ces corps qui cherchent à s’y enfoncer. Creuser des labyrinthes pour former de nouveaux bals masqués, là où les ancêtres portent des plumes sur le dos et des souliers de Drag Queen.

La terre brûle…

Les tourbillons de la fête propulsent les fugitifs vers les étendues vertes, là où le chandelier de la voûte céleste les éclaire. Dans ce temps de répit, ils peuvent entendre les grésillements qui font brunir leurs peaux.

Il fait nuit noire sous la lune.

La toundra s’éveille, Atacama s’éteint, alors que l’Amazonie clignote rouge.

Pendant ce temps, sa majesté fugitive a perdu une paillette depuis ses paupières dorées. Elle se situe à cet instant même dans le même axe que les étoiles centrales; Telle une luciole, elle scintille alors davantage.

Dans n’importe quelle posture, ici ou là, le silence règne; seules les particules élémentaires fredonnent dans l’oreille interne des nyctalopes . Ils perçoivent si bien les finesses de la nuit, que le jour, droit dans le soleil, ils cherchent à disparaître, à nouveau.

Au prochain pas de côté, ils reviendront pour s’étendre, jusqu’à l’orbe de la lune.

Anne-Laure Garicoix

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